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Papa/Maman, Père/Mère, Géniteur/Génitrice

Où ? Quand ? Comment ?

Par Catherine Briod de Moncuit

© G&BM-Psy 2016

 

Résumé

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Lorsque le professionnel est confronté à de la maltraitance intrafamiliale, il doit être attentif à son vocabulaire. Les termes « papa/maman » renvoient à la toute petite enfance et au lien affectif entre enfants et parents. Ils doivent être réservés à l’intimité de la famille et le professionnel ne devrait pas les utiliser. Les termes « père » et « mère » s’adressent à la fonction parentale du parent, à son métier de parent. Ce sont ces mots que le professionnel choisira, puisqu’il intervient dans une famille quand il y a une difficulté dans la fonction parentale. Les mots « géniteur/génitrice » sont utilisés quand les parents mettent activement en danger la vie de leurs enfants et qu’ils sont incapables d’exercer leur fonction parentale.

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Introduction

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Il est de tradition en francophonie d’appeler son père « papa » et sa mère « maman », même si l’enfant a 65 ans et plus et que le parent est en EMS ou décédé. Ces vocables de « papa » et « maman » se retrouvent dans la presse écrite, à la télévision, sur le net. Nous voyons des artistes renommés, des hommes ou des femmes politiques ou d’autres personnalités connues parler parfois de leurs parents en les appelant par ces termes. Souvent même, lorsqu’ils utilisent ce mot, l’intonation de la voix change et d’adulte, elle redevient enfantine. « Et qu’avez-vous appris de votre papa/maman ? » demandera tel journaliste au grand cuisinier qui fait la une de son émission. « Maman m’a donné le goût de la cuisine, quand elle mitonnait le rôti du dimanche » répondra ce dernier. Et si le téléspectateur a de la chance, le chef étoilé ne dira pas « maman », mais « ma maman », usant de cet adjectif possessif si rassurant.

Nous restons donc fidèles toute notre vie au babil du très jeune enfant qui prononce ses premières syllabes : « papapa », « mamama ». Dans de nombreuses langues de par le monde, ces premières syllabes que prononce l’enfant sont reprises pour désigner le père et la mère.

Or, ces mots nous renvoient inévitablement à une époque où nous étions, pour notre survie, complètement dépendant du bon vouloir de nos parents. Ils nous renvoient à la toute petite enfance. Ils désignent le lien d’attachement que doivent pouvoir nouer les enfants avec les adultes qui en ont la charge, lien d’attachement qui n’est pas un lien d’amour, mais de dépendance absolue. Nous reviendrons sur cette notion dans un article ultérieur.

Etrangement, force est de constater que spontanément, dans les cours de récréation, dès l’âge de 8 – 9 ans, l’enfant ne dit plus « papa » ou « maman » quand il parle de ses parents avec d’autres enfants. Il utilisera les mots de « père » ou de « mère » : « Ah, c’est ta mère qui vient te chercher ! » « Il est sympa ton père, il joue aux jeux vidéo avec toi. ».

Cependant, si l’adulte entend l’enfant parler de la sorte, il le reprendra parfois très vertement en lui disant qu’on n’utilise pas « père » et « mère » pour parler de ses parents, que c’est malpoli, et qu’il doit dire « papa » ou « maman ». Ce faisant, l’adulte court-circuite les velléités d’indépendance que l’enfant expérimente.

A cet âge, en effet, l’enfant appelle « papa /maman » ses parents dans l’intimité du cercle familial, mais il les nomme « père » et « mère » quand il est à l’extérieur. C’est un moyen pour lui de commencer à prendre une distance avec le parent, de signifier qu’il a moins besoin de lui, et en tous les cas, qu’il n’en a plus besoin comme il en avait quand il était bébé. Il montre ainsi, naturellement, qu’il grandit et qu’il commence à prendre son autonomie, tant physique qu’affective.

La réaction de l’adulte va donc à l’encontre du besoin d’autonomie de l’enfant, alors que, paradoxalement, l’un des désirs exprimés du parent est que l’enfant devienne autonome et trouve sa place dans la vie.

Les mots « papa/maman » induisent une représentation positive du parent qui ne coïncide absolument pas avec les actes de maltraitance que peut subir l’enfant.

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L’importance des mots dans un système de maltraitance

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« Papa/maman » sont donc issus des toutes premières syllabes de l’enfant et de la toute petite enfance. Dans nos représentations, un papa et une maman sont des gens gentils, affectueux, attentifs, bienveillants, sécurisants. Il est inimaginable qu’un papa ou une maman maltraite son enfant, qu’il ou elle abuse sexuellement de lui, qu’il ou elle l’attache au radiateur, l’enferme à la cave dans le noir ou tente de le noyer en lui donnant son bain. Les mots « papa/maman » induisent une représentation positive du parent qui ne coïncide absolument pas avec les actes de maltraitance que peut subir l’enfant. La juxtaposition de ces mots et de ces actes crée un « message d’erreur » dans notre cerveau, car elle renvoie à des représentations et des images incompatibles entre elles. Ainsi, quand le magistrat chargé des affaires familiales lit dans un rapport d’un service de protection des la jeunesse : « La maman du petit Kevin lui a posé un fer à repasser brûlant sur les pieds. », le cerveau du juge est aussitôt aux prises avec ses représentations d’une « maman » (gentille, affectueuse et protectrice) d’un côté, et l’image insoutenable (les pieds de l’enfant brulés) de l’autre. Entre la représentation et l’image, c’est souvent la représentation qui l’emporte. Alors, le juge peut instinctivement minimiser les faits en arguant que cette femme aime son enfant, qu’elle a dérapé une fois sous l’effet d’une énième crise du gamin et perdre du vue la violence faite à l’enfant. Ce faisant, il préserve ses représentations liées au mot « maman » au détriment de la protection de l’enfant.

Si nous voulons éviter ce genre de collusion, il nous faut faire très attention aux mots que nous utilisons, d’autant que d’autres mots se présentent à nous pour définir la parentalité.

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Papa/maman : définitions et utilisations

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Ces mots sont donc issus de la toute petite enfance. Ils sont porteurs de l’attachement et de l’affection qui se nouent entre un jeune enfant et son parent. Ils ne devraient jamais être utilisés par les professionnels, car à de très rares exceptions près, la majorité des parents, y compris maltraitants, aiment leur enfant. Or quand nous sommes confrontés à une situation de maltraitance, ce n’est pas l’amour le problème, c’est le dysfonctionnement de la fonction parentale.

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Père/mère : définitions et utilisations

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En français, les mots existent pour désigner la fonction parentale. Il s’agit des mots « père » et Les mots « papa/maman » induisent une représentation positive du parent qui ne coïncide absolument pas avec les actes de maltraitance que peut subir l’enfant. «mère ». Père/mère renvoient à la fonction parentale du parent. Dans le sens qui nous intéresse ici et selon le dictionnaire Larousse, une fonction désigne :

  • le rôle joué par une personne au sein d’un groupe, d’une activité.

  • une profession, l’exercice d’une charge, d’un emploi. La fonction parentale est donc le métier du parent qui a la charge d’élever son enfant.

« Père/mère » signifient la capacité qu’a le parent à mener à bien l’enfant dans la vie, à le contenir, le guider, le sécuriser et s’en occuper. Ils impliquent une position hiérarchique. Le père ou la mère sont responsables de l’éducation de l’enfant. Père/mère sont les termes utilisés dans les textes de loi.1

Or, quand un professionnel intervient dans une famille car il y a un problème dans la prise en charge de l’enfant, il intervient parce qu’il y a un déficit ou une altération de la fonction parentale. Pas parce qu’il y a manque d’amour. Ce sont donc bien les mots « père », « mère » qu’il convient alors d’utiliser.

Si nous écoutons attentivement, dire : « la mère du petit Kevin lui a posé un fer à repasser brûlant sur les pieds » n’a pas le même impact que dire : « la maman du petit Kevin lui a posé un fer à repasser brûlant sur les pieds ». Un mot et la coloration de la phrase change.

Les vocables « mère »/« père » nous permettent de garder une meilleure distance professionnelle avec la situation et place notre intervention au niveau de la fonction parentale, et non au niveau du lien affectif. Et le professionnel est là pour évaluer l’adéquation de la fonction parentale du parent, l’éventuel dysfonctionnement de cette fonction parentale et dans quelle mesure ce dysfonctionnement met en danger la vie ou le développement de l’enfant.

Dans les rapports, les écrits de synthèse, les journaux de bord et autres compte-rendu concernant l’enfant, il est nécessaire d’utiliser les mots « père »/« mère ».

Il serait bien de prendre l’habitude d’utiliser également ces vocables dans le langage oral, quand nous parlons entre nous, quand nous parlons aux parents et quand nous parlons de ses parents à l’enfant. En règle générale, « père »/« mère » seront utilisés.

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Quand nous parlons à l’enfant de ses parents

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Lorsque nous nous adressons à un enfant qui est correctement traité, l’utilisation des mots « papa/maman » ne posent pas trop de problèmes, en dehors du fait que, suivant l’âge de l’enfant, cela maintien le lien de dépendance de l’enfant à l’égard de ses parents et ne favorise pas son besoin d’autonomie. Mais dès que nous sommes confrontés à de la maltraitance ou à de la violence2, quelque soit sa forme, il en va autrement.

Un mineur en situation de maltraitance est partagé entre l’attachement qu’il porte à ses parents et le besoin de fuir ces mêmes parents lorsqu’ils font acte de violence. Il est habité par des sentiments d’amour et de haine, teintés de terreur, qui mettent grandement à mal sa sécurité intérieure. Parfois même, la terreur et la haine l’emportent et l’enfant est soulagé quand il est séparé de ses parents qu’il ne perçoit plus comme des êtres aimants et source de sécurité, mais comme des bourreaux qui peuvent à tout moment le détruire. L’adulte professionnel chargé d’entourer et de rendre de la sécurité à l’enfant doit alors être extrêmement attentif aux mots qu’il utilise.

Vignette

L’enfant a 9 ans. Il est placé en urgence dans un foyer, suite à une clause péril. Sa mère, souffrant de troubles psychiatriques, a décompensé une nouvelle fois et s’en est pris violement à lui. Le juge civil a suspendu tout droit de visite jusqu’à nouvel ordre. Au foyer, l’enfant récupère. Il a investi sa chambre et noué de bonnes relations avec d’autres enfants du foyer.

Trois semaines après son admission, il s’approche de son éducatrice et lui demande : « C’est quand que je vois maman ? » L’éducatrice lui répond : « Tu sais que ta maman est malade. Je sais qu’elle te manque, mais le juge a interdit les visites pour l’instant. Si tu veux, on peut lui téléphoner ». Réponse de l’enfant : « Non ». Et il retourne jouer avec ses camarades.

Tout, dans l’attitude de l’enfant et dans sa réponse indique qu’il ne souhaitait pas voir sa mère. Il avait simplement besoin d’être rassuré quant au fait qu’il n’allait pas la voir de suite. C’est d’ailleurs bien la question qu’il pose : « quand vais-je la voir ? » et non « est-ce que je peux la voir ? ». Cet enfant a encore besoin d’être protégé de la violence pathologique de sa mère. Or l’éducatrice, en utilisant le mot « maman », nie cette violence et fait fi de la terreur que l’enfant a éprouvée face au double visage de sa mère. L’utilisation du mot « mère » aurait aidé l’enfant à différencier les deuxvisages de cette femme et à pouvoir se positionner par rapport à ce double visage.

Prendre l’habitude pour l’éducatrice d’utiliser le mot correct lui aurait peut-être aussi permis de ne pas préjuger que la mère manquait à l’enfant, de ne pas répondre en fonction de sa représentation (les enfants sont en manque de leur maman), mais d’entendre véritablement où se situait l’enfant et son besoin d’être rassuré quant au fait qu’il allait continuer à être protégé

Chez un enfant en situation de maltraitance, et particulièrement de maltraitance grave, l’ambiguïté des sentiments est très forte. Pour y faire face, l’enfant n’a d’autre choix que de scinder l’image parentale entre le bon parent qu’il aime, et le bourreau qu’il hait. Au fond de lui, il est conscient d’être orphelin sans l’être. Il se construit alors une image de « maman » ou de « papa » idéale, rêvée, qui ne correspond pas à la réalité qu’il vit. Et il le sait, mais il est le seul à savoir. Parler « père/mère » aide l’enfant à affronter la réalité de ce qu’il vit. Du coup, il est moins seul avec ses angoisses.

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Géniteur/génitrice : définitions et utilisations

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Dans nos représentations, les géniteurs et les génitrices sont automatiquement assimilés aux parents : sont parents ceux qui conçoivent, mettent au monde et élèvent l’enfant. Mais stricto sensu, le géniteur est celui dont le spermatozoïde est à l’origine de l’enfant et la génitrice celle dont l’ovule rencontre le spermatozoïde et qui va mettre l’enfant au monde. Géniteur et génitrice sont donc les ascendants biologiques de l’enfant.

Quand nous nous confrontons à des systèmes de maltraitance grave, force est de constater que certains hommes et certaines femmes sont si délétères pour les enfants qu’il devient difficile de parler d’eux comme de parents. Les enfants eux mêmes, en particulier quand ils arrivent à l’adolescence, utilisent les termes de « géniteur/génitrice » pour les désigner3. Cela montre à quel point ils ont besoin de s’affranchir de ce qu’ils ont pu vivre.

Ce sont en général des situations où l’on trouve des viols avec violence, de la torture, de l’asservissement et des tentatives de meurtre du parent sur l’enfant. Ce sont des systèmes extrêmes, et dans ces cas-là, les mots « géniteur/génitrice » sont les plus appropriés. Ces mots relèvent à la fois l’ascendance biologique, incontournable, et l’incapacité parentale massive.

 

Conclusion

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En conclusion nous pourrions dire : laissons papa et maman à l’intimité des familles. Utilisons père et mère quand nous travaillons dans le champ professionnel ou qu’il est nécessaire d’évaluer la fonction parentale. Gardons en tête géniteur et génitrice, quand il n’y a pas grand-chose à sauver de la fonction parentale.

Cela nous aidera à garder une distance professionnelle adéquate parfois si difficile à maintenir dans ces situations douloureuses, en clarifiant la place et la fonction de chacun.

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Catherine Briod de Moncuit 

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Bibliographie

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Footnotes

 

  1. Voir par exemple le code suisse des obligations ou le code civil. â†©

  2. L’OMS définit 4 formes de maltraitance qu’elle appelle violences : la violence psychologique, la violence physique, la violence sexuelle, la négligence. Elles sont définies comme suit : « Toutes les formes de mauvais traitements physiques et/ou affectifs, de sévices sexuels, de négligence ou de traitement négligent, ou d’exploitation commerciale ou autre, entraînant un préjudice réel ou potentiel pour la santé des enfants, sa survie, son développement ou sa dignité dans le contexte d’une relation de responsabilité, de confiance ou de pouvoir. ». â†©

  3. Quand ils ne vont pas chercher dans l’argot les mots de « daron » ou « daronne », qui est teinté d’une coloration négative et qui désignait entre autre le patron, le maître de maison, le tenancier de bordel. â†©

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